Dédale : Chantiers de Villette Emergences dans le cadre de Vilette Numérique – Paris (Festival international de la création et des nouveaux média)
ArchaicVibes, c’est un projet sur lequel je travaille depuis 1an au moins.
ArchaicVibes. Ces deux mots, archaic et vibes, c’est déjà deux mondes qui se retrouvent. C’est avec un ami qui gravitait dans le monde de la techno qu’on l’a trouvé. Vibes, c’est de lui et moi j’ai collé Archaic à ce terme techno. Parce que, plus je suis devant un ordi, plus je vois de l’archaïsme apparaître. C’est le rapport à la machine qui le fait remonter, et l’ordi ce n’est pas une machine comme les autres. Quand vous êtes devant une machine à écrire, ça vous fait des trucs. Vous vous imaginez être la secrétaire de Mannix, c’est de la bonne vibe mais ce n’est pas encore ça. Dans la voiture, là ça commence déjà à devenir plus archaïque. Vous devenez une bête plus facilement. Vous faites corps avec la bagnole. Et si vous voulez faire corps avec cette bagnole, ben faut sortir la rage et les insultes, faut être un killer.
Mais devant un ordi, là ça le fait total; ça ne fait pas ressortir seulement votre côté blaireau. C’est beaucoup plus profond. Si, en plus, vous êtes relié sur le web mondial, alors là vous vous sentez en contact direct avec un organisme pas encore très évolué, mais qui possède une sacrée puissance. Et dialoguer avec lui fait appel à ce qu’il reste en vous d’enfoui, de recouvert de civilisation, de ce qui est plus propre à la consommation. Si vous voulez vraiment avoir un bon dialogue avec cet organisme, il faut faire sortir tout ça, il faut retrouver l’archaïsme qui a fait que vous arriviez à vivre avec d’autres que vous, avec ces gens qui, vous l’admettez, vous ressemblent.
Et c’est là que je me suis dit que je pouvais faire quelque chose avec les insectes, ça c’était quelque chose avec quoi je pourrais montrer ce truc. Dans l’insecte il y a tout ca, il y a cette peur infondée de l’insecte, cette peur primale. Et nous, humains, ce qui a fait qu’on vive ensemble, qu’on s’entende pour ce faire, c’est la peur, une vieille peur inconnue, comme celle des insectes. L’insecte, c’est le totalement autre que nous. Vraiment on n’est pas pareils. Quant à la taille, quant à notre vie sociale, notre corps c’est l’inverse de lui. Et puis un jour, j’ai projeté sur grand écran comme là ici, cet insecte. Et je me suis dit putain, mais là, c’est inversé! Il est plus grand que moi. J’ai sa vison à lui. Lui, il nous voit comme ça. Et puis aussi, lui, il est dans la machine, cet insecte et pas moi. Il est top, super techno. J’avais la rage. Me faire coiffer par un moustique au top de la modernité.
Il fallait se battre, être interactif, lui en faire bouffer de l’interactivité à ce moustique. Et l’arme la plus interactive face à ce putain de moustique, binaire (il faut bien le dire), c’est le trio.
J’avais déjà expérimenté l’année d’avant, une nouvelle sorte de spectacle performance, de spectacle multimédia : la Neurosex. C’est un trio. Le trio, c’est le must de l’interactivité. Tout seul, c’est à peu près zéro interactivité. Deux, il y a un risque de boucle, de fusion; pas bon pour l’interactivité. Trois, c’est la perfection faite interactivité; ça ne peut que circuler à trois. Quatre, c’est deux fois deux, donc on passe. Cinq et plus, il faut un leader, donc bonjour l’interaction. On est trois. Un à la musique, un à la langue, l’autre à l’image.Il y a eu d’abord les images qui ont été faites, puis un texte a été écrit, et puis la musique a été faite. Et c’était parti, on a balancé ça. Et sur scène c’était trois mondes qui était balancés comme ça, sans désir de fusion. Un combat; combat entre la voix du texte et la musique, combat des images et du sens des mots, etc. « Vous n’imaginez pas tout ce qu’un trio peut faire pour vous ». Une sacré partie d’interactivité.
Donc je me suis dit: on remet ça avec ArchaicVibes. Mais là, il faut être plus fin. Dans Neurosex, l’archaïsme venait de ce désir du combat LIVE. Avec ArchaicVibes, il fallait donner une part plus grande à la machine. Qu’elle soit vraiment là, qu’elle serve de lieu de ce combat. Qu’on se batte oui mais de baseball. Non que la machine soit le corps ou l’on se bate.
Alors j’ai relié, câblé, numérisé tout ça, la musique, le texte, l’image et aussi toutes les interactions entre elles. J’ai relié, câblé, numérisé les corps. Mais j’ai relié, câblé numérisé la baise aussi.
Les insectes sont manipulés et crachent des chiffres qui sont envoyés via du MIDI, vers le musicien.Qui va recréer, retravailler, mélanger avec sa musique à lui. Il reçoit de l’autre côté une voix, du texte lu qui crache du son et du sens, qui répond au son de la musique qui crée une image et un univers, un espace où les insectes bougent, grouillent et crachent des chiffres.
Grâce au trio, l’autre est toujours l’autre de l’autre, sa position d’autre est sans cesse évacuée par l’autre. Et si vous injectez ce fonctionnement dans des machines qui n’ont qu’une qualité intrinsèque, celle de repondre à l’autre, quoi qu’il en soit, mais à la vitesse de la lumière, vous allez voir apparaître un organisme vivant, jamais vu. Car en pleine gestation, une vibration, une vibration archaïque.
Frédéric Fenoll